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Croyances, le cerveau et ses biais, une première approche

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Par sham – http://blogs.univ-poitiers.fr/n-yeganefar/ – Je blogue sur les thématiques de la communauté sceptique (science vs pseudoscience) et j’essaie de défendre un point de vue rationnel de la science. Vous pouvez me retrouver aussi sur twitter @shamandscience

[Article publié dans le cadre de la semaine thématique sur le cerveau organisée par le c@fé des sciences]. Quatre cartes sont posées devant vous: 3 – 8 – Rouge – Marron. Ces cartes sont bizarres, un chiffre sur une face et une couleur sur l’autre. La dame en blouse blanche avec son petit air « vous-allez-tombé-dans-le-panneau » vous demande à nouveau: « ne vous inquiétez pas et répondez juste à ma question, quelle carte devez-vous retourner pour tester mon affirmation? » Il faut dire qu’ils ont le chic pour rendre tout compliqué ces scientifiques. Son affirmation est tordue, « si une carte possède un chiffre pair alors l’autre face est rouge ». Quelle carte retourner? La 8 et la Rouge, probablement?

Ce petit jeu décrit la tâche de sélection de Wason qui a mis en évidence, entre autres, une caractéristique de notre cerveau communément appelée biais de confirmation. Derrière ce terme se cache la tendance à rechercher des informations qui confirment nos croyances. Dans son expérience, Wason a montré qu’une très large majorité des personnes interrogées se trompent. Les lecteurs du café des sciences étant un échantillon un peu plus aguerri à ces petits jeux auront peut-être trouvé la bonne réponse: ici il faut retourner les cartes 8 et Marron! Retourner 8 permet de confirmer l’affirmation énoncée et retourner Marron permet de la réfuter.

Confus? Reprenons! Dans un contexte moins abstrait, le problème devient un jeu d’enfant. Imaginez-vous en inspecteur Gadget dans un bar. Vous devez vérifier la règle que le barman prétend suivre: pas d’alcool à ceux qui ont moins de 18 ans. Vous avez seulement des bribes d’informations à votre disposition. 4 personnes ont bu dans ce bar et parmi elles, une personne a 23 ans, une autre 17, une bière et un coca ont été bus.
Le barman est-il en règle? Pour cela, il suffit de vérifier qui a bu la bière et que boit le jeune de 17 ans! Dans un cas, on cherche à confirmer la règle (qu’est que la personne de 17 ans a bu?), dans l’autre on cherche à voir si on peut falsifier la règle (qui a bu la bière?).

Mais entrons dans le vif du sujet: croyances et cerveau. Cette question est tellement vaste qu’en faire le tour nous prendrait plusieurs livres…et bien justement, je vais vous faire un court résumé de plusieurs livres sur le sujet!

Approche psychologique

Les croyances étant apparemment présentes dans toutes les sociétés, certains scientifiques ne sont pas loin de penser que la manière dont notre cerveau fonctionne les favorise largement. Ils avancent que les biais de raisonnements confortant les croyances pourraient avoir un avantage sélectif. Par exemple, chercher à créer un lien de causalité entre deux effets: si un bruit provient du buisson, inutile de vérifier qu’un fauve s’y cache, autant détaler rapidement! De là à penser que l’évolution a façonné le cerveau pour croire, il y a un pas que j’hésiterais à franchir. Mais détaillons rapidement quelques biais révélateurs des mécanismes de notre cerveau.

Ce que l’on nomme le conditionnement a initialement été mis en évidence chez les animaux, notamment par le chien de Pavlov, du nom du scientifique qui a exploré cet effet. Pavlov annonçait la nourriture de son chien par le son d’une clochette et observa qu’au bout d’un certain temps, le chien salivait au seul son de la clochette, même s’il n’apportait pas la nourriture. Une autre expérience célèbre, sur les pigeons cette fois, montre notre capacité à faire des liens entre des évènements non reliés et donne une nouvelle dimension à ce que l’on nomme la superstition. L’expérience vaut le coup d’être décrite, les pigeons reçoivent de la nourriture de manière aléatoire. Ils finissent par repérer ce qu’ils pensent être des mécanismes faisant tomber la nourriture, et répètent le mécanisme désespérément. Imaginez que vous tournez la tête à gauche, que la nourriture tombe au même moment et que cette coïncidence se répète une ou deux fois, vous serez alors convaincus du lien entre ces deux évènements et vous répèterez ce comportement « superstitieux ». C’est le classique slip porte-bonheur de certains sportifs!

Sur cette thématique, je vous invite à lire ces deux articles du Webinet des curiosités qui explore le sujet de manière fort agréable: 1 et 2.

Approche sociologique

La question soulevée par certains sociologues est celle de déterminer les mécanismes dans la société qui favorisent les croyances. Gérald Bronner en particulier mène une réflexion intéressante sur la généralisation des sources d’informations et notamment internet. Il ne s’agit même plus de parler des croyances de types « extraordinaires » mais tout simplement du problème de savoir ce qui est vrai ou faux, comment faire la part des choses et comment se faire une idée « juste » sur un problème donné.

La masse d’information sur internet devient alors un « dédale mental », pour reprendre son expression, dans lequel, si on ne dispose pas des outils adéquats, il est très difficile de se déplacer. Chacun peut donc à loisir renforcer ses croyances sur la toile, il est facile de trouver une autorité pour conforter n’importe quel point de vue. L’éclatement du marché de l’information renforce donc les phénomènes de biais de confirmation exposés en introduction. Le problème se pose alors: si vous avez deux opinions contradictoires sur un même sujet, qui croire? Le récent échange sur mon dernier article concernant la vaccination en fournit un exemple vivant. Vous avez d’une part des articles justifiant une position et de l’autre, des articles justifiant la position inverse! Cela donne l’impression qu’il existe une controverse (par exemple sur la vaccination) alors que le consensus règne parmi la communauté scientifique.

Évidemment le rôle des médias, à la recherche de l’audimat -question de survie- est un facteur aggravant. L’information circule de plus en plus vite, il n’est plus possible de prendre le temps de la vérifier; ne pas relayer une information « chaude » signifie perdre l’exclusivité et donc, des parts de marchés. Les « lanceurs d’alertes » sont d’ailleurs les grands vainqueurs de ces failles.

Approche historique

Dire que les croyances ont évolué dans l’histoire est certes une évidence, l’analyser en détail en est une autre. Peter Lamont dans son nouveau livre replace dans une perspective historique les croyances et en propose d’abord une définition: ce qui ne peut être expliqué par des justifications ordinaires. Cette définition, en apparence innocente, implique néanmoins une dichotomie intéressante. Puisque l’évènement est inexpliqué, chaque individu possède finalement deux possibilités: croire qu’une explication rationnelle explique l’évènement ou croire que l’évènement ne peut être expliqué par la science ordinaire.

Nous sommes en quelque sorte tous dans la croyance, bien que la première position soit plus probable mais, paradoxalement, plus difficile à tenir. De ce fait, à la question pourquoi les gens croient? la réponse devient intéressante: parce qu’ils estiment que les explications rationnelles proposées ne sont pas suffisantes pour rendre compte du phénomène observé. On retombe d’ailleurs sur les problématiques soulevés par Bronner, puisque dans ce cadre, la question de l’autorité (à qui faire confiance) devient centrale. L’approche historique en se focalisant sur l’importance du contexte social prend alors tout son sens. Mais pas seulement: Lamont considère qu’il est intéressant de s’intéresser aussi aux justifications avancées par les individus. Certains scientifiques, pour prendre un exemple parlant, pensent que les perceptions extra sensoriels sont une réalité mise en évidence par leurs expériences. Peut-on les classer parmi les croyants? Les mettre sur le même plan que des religieux par exemple?

Envie d’en savoir plus?

Je voudrais signaler plusieurs livres qui m’ont largement inspiré pour cet article, les deux premiers You are not so smart et How risky it is really, très agréables à lire grâce aux nombreux exemples développés. Ensuite le dernier livre de Gérald Bronner que je n’ai pas encore lu mais régulièrement entendu en interview La démocratie des crédules. Enfin, Extraordinary Beliefs que je n’ai fait qu’aborder ici est un livre extrêmement enrichissant que je vous invite à découvrir au plus vite!

Retrouvez moi sur mon blog et mon twitter (@shamandscience)!

La première illustration proposée est d’Alain Prunier.

Par sham – http://blogs.univ-poitiers.fr/n-yeganefar/

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Invité

4 Comments

  • Voilà donc un bon article, bien passionnant. J’ai beaucoup aimé et n’hésiterai pas à le recommander, c’est pas mal du tout ! Elsa Mondriet

  • Article fort sympathique, une lecture agréable. Ce blog est vraiment pas mal, et les sujets présents plutôt bons dans l’ensemble, bravo ! Virginie Brossard LETUDIANT.FR

  • Article fort sympathique, une lecture agréable. Ce blog est vraiment pas mal, et les sujets présents plutôt bons dans l’ensemble, bravo !

  • Article fort sympathique, une lecture agréable. Ce blog est vraiment pas mal, et les sujets présents plutôt bons dans l’ensemble, bravo ! Virginie Brossard LETUDIANT.FR

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